Les monologues du
vagin
par Eve Ensler
Introduction
"Vagin." Voilà, ça y est, je l’ai dit. "Vagin" - je le redis. Depuis que je travaille sur cette pièce, je le dis encore et encore. Je le dis au théâtre bien sûr, dans des facultés, dans des
salons, dans des cafés, dans des dîners, à la radio, dans beaucoup de pays. Je le dis à la télé quand on me permet de le faire. Je le dis cent vingt trois fois quand je donne ce spectacle, Les
Monologues du vagin, qui est fondé sur les interviews de plus de deux cents femmes à propos de leur vagin. Je le dis dans mon sommeil. Je le dis parce que je suis censée ne pas le dire. Je le
dis parce que c’est un mot indicible - un mot qui provoque l’angoisse, la gêne, le mépris et le dégoût.
Je le dis parce que je crois que ce qu’on ne dit pas, on ne le voit pas, on ne le reconnaît pas, on ne se le rappelle pas. Ce qu’on ne dit pas devient un secret et les secrets souvent
engendrent la honte, la peur et les mythes. Je le dis parce que je veux pouvoir un jour le dire naturellement, sans éprouver de honte ou de culpabilité.
Je le dis parce que je n’ai pas trouvé un mot qui soit plus général, qui décrive réellement toute cette zone et tout ce qui la compose. "Chatte" serait certainement un mot bien meilleur, mais
il véhicule trop de choses. "Vulve" est un bon mot ; plus spécifique. Mais je crois que la plupart d’entre nous ne savent pas clairement ce qu’inclut la vulve.
Je dis "vagin", parce que depuis que j’ai commencé à le dire j’ai découvert à quel point j’étais morcelée, à quel point mon esprit était déconnecté de mon corps. Mon vagin était quelque chose
là-bas, loin, très loin. Je vivais rarement en lui, je ne lui rendais même pas visite. Trop occupée à travailler, à écrire ; à être une mère, une amie. Je ne voyais pas mon vagin comme ma
ressource essentielle, un lieu de subsistance, d’humour et de créativité. C’était une chose lourde, là, chargée de peur. J’avais été violée, petite fille, et bien que j’aie grandi et que j’aie
fait tout ce qu’une adulte peut faire avec son vagin, je n’étais jamais vraiment revenue dans cette partie de mon corps après avoir été violée. En fait, j’avais vécu presque toute ma vie sans
mon moteur, sans mon centre de gravité, sans mon deuxième cœur.
Je dis "vagin" parce que je veux que les gens me répondent et ils le font. D’une façon ou d’une autre. Ils ont tout fait pour censurer le mot dans la communication, là où passaient Les
Monologues du vagin : dans la pub des grands quotidiens, sur les affiches, sur les billets, sur les enseignes des théâtres, sur les répondeurs où une voix disait seulement Les Monologues
ou les Monologues du V.
Et quand je demande : « Pourquoi ? "Vagin" n’est pas un mot pornographique. Ce n’est qu’un terme médical qui désigne une partie du corps, comme "coude", "main" ou
"côte". »
On me dit : « Ce n’est peut-être pas pornographique, mais c’est sale. Si nos petites filles l’entendent, qu’allons-nous leur dire ? »
Et je réponds : « Vous pouvez peut-être leur dire qu’elles ont un vagin. Si elles ne le savent pas déjà. Et aller fêter ça tous ensemble. »
Et ils me disent : « Oui, mais nous n’appelons pas leurs vagins "vagin".
-Vous les appelez comment ?
- "Le zizi", "le fri-fri", "le pipi", "la coucounette"… et ainsi de suite. »
Je dis "vagin" parce que j’ai lu les statistiques. Partout, les vagins subissent de mauvais traitements. Des centaines de milliers de femmes sont violées chaque année dans le monde. Cent
millions de femmes ont subi des mutilations génitales. La liste est longue. Je dis "vagin" parce que je veux que cessent ces horreurs. Et je sais qu’elles ne cesseront pas tant que nous
n’admettrons pas qu’elles existent. Et le seul moyen de le savoir, c’est de permettre aux femmes de parler sans peur d’être punies ou sanctionnées.
Ça fait peur de dire le mot. "Vagin." La première fois, vous avez l’impression de vous écraser contre un mur invisible. "Vagin." Vous vous sentez coupable et en tort, comme si quelqu’un allait
vous frapper. Et puis, peu à peu, quand vous avez dit le mot une centaine ou un millier de fois, il vous apparaît que c’est votre mot, votre corps, votre moi le plus essentiel. Vous prenez
soudain conscience que toute la honte et toute la gêne que vous éprouviez avant, en disant ce mot, n’étaient qu’une façon de réduire au silence votre désir et de saper votre ambition.
Alors, ce mot, vous commencez à le dire de plus en plus. Vous le dites avec une sorte de passion, une sorte d’urgence, parce que vous sentez que si vous cessez de le dire, la peur va à nouveau
s’emparer de vous et vous allez retomber dans le murmure embarrassé. Alors, vous le dites chaque fois que vous le pouvez, vous le placez dans toutes les conversations.
Vous êtes toute excitée par votre vagin. Vous voulez l’étudier, l’explorer, faire sa connaissance, apprendre à l’écouter et à lui donner du plaisir, pour qu’il reste en bonne santé et garde sa
force et sa sagesse. Vous apprenez à le satisfaire vous-même, puis vous expliquez à votre amant comment le satisfaire.
Vous êtes consciente de votre vagin tout au long de la journée, où que vous soyez - dans votre voiture, en faisant les courses, à la gym, au travail. Vous ressentez cette partie de vous entre
vos jambes, précieuse, superbe, donneuse de vie et ça vous fait sourire. Ça vous rend fière.
Et quand de plus en plus de femmes diront le mot, le dire ne sera plus un problème. Il fera partie de notre vocabulaire, partie de notre vie. Nos vagins seront alors intégrés, respectés et
sacrés. Ils feront enfin partie intégrante de nos corps, connectés à nos cerveaux, alimentant nos esprits. La honte disparaîtra et les violations cesseront, parce que les vagins seront visibles
et réels et qu’ils seront associés à un discours féminin plein de puissance et de sagesse. Nous avons un long voyage devant nous.
Et ceci, c’est le commencement du voyage. Voici le lieu pour penser à nos vagins, pour apprendre grâce à ceux des autres femmes, pour écouter des histoires et des points de vue, pour répondre à
des questions et pour nous en poser. Voici le lieu pour s’affranchie des mythes, de la honte et de la peur. Voici le lieu pour s’entraîner à dire le mot, parce que, comme chacun sait, c’est le
mot qui fait avancer et c’est le mot qui rend libre. "VAGIN".
Eve Ensler
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