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Dimanche 8 mars 7 08 /03 /Mars 13:05




QUARANTE-DEUX ANS ...
Quarante-deux ans de vie commune, vrai­ment en commun, parfois jusqu'à l'enfermement. Nous avions aimé tous deux ce petit livre rare l'Île (d'Anne Lauris - Régine Desforges 1972) où l'on suit un couple replié sur une relation gentiment sado-masochiste.

Des litres de sperme et de sécrétions vaginales puisque le sexe - c'est comme cela que l'on dit - nous a réunis, soudés, rafistolés, tenus debout (métaphore, car plus souvent couchés).


Des dizaines de toiles de toi, par moi, de ton corps, dans tous ses états. Ton style c'est ton cul, c'est ton cul, c'est ton cul... Chanson de Léo que j'aurais pu signer.

Des cassettes vidéo et des films où ta peau qui aime le soleil se donnait à mes yeux qui aiment ta peau. Chaque fois, le désir mouillant, toujours présent, les audaces toujours exacerbées.


En quarante-deux ans, des pleurs, un peu. Des insultes, ja­mais. Du mépris, impensable ... De la complicité, tou­jours, même lorsque j'étais ailleurs, Don Quichotte de l'amour, en quête de mon propre pouvoir de séduire, jamais étanché, jamais rassuré. La mariée n'est jamais assez belle ... (Ma mère, comme j'ai le sentiment que vous ne m'avez point assez aimé ! ), il y a trois milliards de femmes sur cette terre et je suis sur cette planète comme un renard dans un poulailler ... Affolé par le nom­bre ...


Il faut que je dise aussi, des centaines de kilos de linge, le mien, celui des trois enfants, lavés, étendus, ramassés, repassés, rangés. Des tonnes de légumes épluchés, pré­parés, offerts, chaque jour, inlassablement. Des quintaux de merde ramassés, du chat, du chien, des petits. Nos petits, ceux des autres aussi, parfois, souvent. Des jour­nées entières de ménage, de cuisine, de jardin. Des ton­nes soulevées, des déménagements, des installations. L'incroyable courage féminin qui me laisse pantois.


Des heures de veille. Discussions interminables. Soirées entre amis. Enfants malades ou simplement demandant une présence pour s'endormir. Des heures de veille. Pen­dant mes insomnies. Pour m'écouter, calmer mes an­goisses, répondre à mes envies ... Des heures de veille pour le travail. Salarié. Un sur-moi en béton. Une santé de fer. Mais les varices après la troisième grossesse. Mais les dents. Mais les cheveux qui et les yeux que ...


Des marches inlassables avec des enfants dans les bras, sur les hanches, accrochés aux bas. Des ares de terre retournés, des fruits engrangés, des allées désherbées. Le courage inouï des gens de la terre. L'obstination totale des taureaux. Des attaches solides. Un dos muscu­leux. Des seins nourriciers, petits, ultra-sensibles.Jeux.


Tu passes en vingt minutes de la paysanne ibérique à la gitane couverte de strass, prête aux repas gourmands et aux folies des corps. Cris et feulements. Impérieuse et impériale dans l'amour. ,

Une intelligence des chiffres et des ordinateurs. Une peur des machines bruyantes, du feu, de l'électricité, des moteurs. Le vertige aussi, paralysant..                         

Un sens profond, terrien de la maternité. Jamais de théo­ries échevelées. Tout à l'intuition, au bon sens. Des enfants pataugeant dans la purée. Des enfants pleins de rires, retrouvés au matin, couchés entre nous deux.

Je connais tes peurs. Mes élans, mes échappées belles, mes regards qui dérapent sur les belles passantes, tout cela, comme tout le reste, finira dans le naufrage du temps. Donc pas de crainte ...


Tu ne m'as jamais, en quarante-deux ans, opposé la moindre migraine, la moindre douleur, le moindre bobo. Tu n'as jamais été de cette horde d'emmerdeuses aux règles tyranniques, aux grossesses de porcelaine, aux pucela­ges de diamant. Quand tu as crié, c'est que vraiment, je t'avais poussée à bout. Mea culpa.


Si c'était à refaire, je recommencerai. Tout. A quelques âneries près. Et j'hésite sur l'orthographe du mot... « Anneries »… Mais il ne faut rien renier. Au fond, et en dépit de l' étymolo­gie, je crois avoir été le plus hystérique des deux ... Ce texte, d'ailleurs, participe encore de cette hystérie propre à l'artiste.


Car tu as été aussi modèle, secrétaire, arpette, mousse, muse, cantinière, commis, commissionnaire, servante, banquière, garde-fou, garde-malade, diplomate.

En vérité, tu as été, au sens premier, ma compagne, ma camarade et jusqu'à ce jour, mon a(i)mante.


Je t'aime.

M.D.



Par Michel Debray - Publié dans : Jours - Communauté : Epicuriens et libertins
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