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Samedi 20 décembre 6 20 /12 /Déc 12:18



Le cinéaste Dusan Makavejev fait passer tous les Tony Gatlif d'aujourd'hui pour des petits joueurs. L'hystérie collective, les personnages en roue libre, les provocations acidulées, il les connaît mieux que personne ! Avec Sweet movie, il réalise son film le plus connu. Plus discrète que La Grande Bouffe, de Marco Ferreri, aux ambitions fort similaires (il a lui aussi eu droit à son micro-scandale Cannois - le film fut présenté en section parallèle au festival), cette co-production barrée yougoslave, française et allemande de 1974 ne démérite pourtant son statut culte d'autant qu'il est aujourd'hui introuvable
.

sweet movie


" Ecoeurant comme si on mangeait à plusieurs reprises un gâteau bourratif et qu'on nous forçait violemment à en reprendre une part. A la fin, on est obligé de vomir: Sweet movie est un film qui dégueule et fait dégueuler."

Le film commence par un show-télévisé peu commun: une élection de miss Monde où les concurrentes, issues de pays différents, sont dirigées par une vieille peau et doivent se faire examiner l'hymen par un gynéco pervers sur un plateau télévisé. L'animateur est en transe, danse en recevant les demoiselles plus ou moins farouches jusqu'à ce qu'arrive Miss Canada, interprétée par Carole Laure, visage de poupée sur un corps vierge de pute, qui remporte l'élection: elle est Miss Monde 1984. Livrée en pâture à un business américain, elle décide de fuir le monde doré des luxes faciles et de se réfugier, seule, à Paris, dans la luxure et le cradingue. Parallèlement, une femme (Anna Prucnal) vogue sur les fleuves avec son bateau rempli de sucreries et croise un quidam (Pierre Clémenti) qui exhibe son pénis sans pudeur. Sweet Movie, qui n'a rien d'un film doux, est au contraire un produit tourné dans la douleur. Les scènes les plus crues ne figurent pas dans la version originelle du film (normalement, on devait voir Carole Laure plonger nue dans une piscine de chocolat et des figurants se rouler dans leurs propres excréments). Sur le plateau, les conditions deviennent épouvantables notamment pour l'actrice qui a failli être dégoûtée du cinéma à vie par l'expérience traumatisante (Makavejev lui a demandé d'égorger un mouton vivant et après son refus, voulait lui coller une ceinture de chasteté munie d'un cadenas dont il avait la clé). Les tensions entre les deux artistes ont été vives mais c'est toujours nécessaire de générer des anecdotes tordues sur les films scandales ou scandaleux (vous verrez prochainement qu'Alejandro Jodorowsky aura son mot à dire sur le sujet Peter O'Toole).

sweet movie


Dans Sweet Movie, l'intenable Dusan Makavejev, responsable d'autres horreurs pelliculés aux titres charmants, utilise les bruitages, les musiques, les répétitions d'image, les montages alternées pour imposer une sarabande nerveuse, psychédélique et enfiévrée. En enchâssant des séquences aléatoires, il organise un spectacle décadent avec des symboles phalliques, des allusions égrillardes et des gags au goût très douteux. Carole Laure et Samy Frey font l'amour sur la tour Eiffel pendant que les badauds passent, sans se douter du spectacle aux alentours. Plus tard, la même Carole Laure se casse un oeuf sur la tête. Encore plus loin, une grande scène éructante de renaissance, où les personnages régressent dangereusement, équivaut cinématographiquement à une Isabelle Adjani qui fait sa transe dans le métro dans Possession, d'Andrzej Zulawski.

Le réalisateur yougoslave, porté par cette âme slave, s'emmêle sciemment les pinceaux, privilégie les uppercuts en pleine tronche et les images chocs (comment justifier les images d'archive sur les massacres des bolcheviks si ce n'est par un mauvais goût fièrement revendiqué?), confronte la mort au sexe, oppose capitalisme et communisme, l'ennui bourgeois aux fantasmes prolétariens. Adosse les criminels de guerre et les dérives télévisuelles. Confronte deux icônes du cinéma indépendant (Pierre Clémenti, acteur parti trop tôt, talent fougueux vu chez Buñuel, notamment dans Belle de jour en racaille sadique et bien sûr Carole Laure, qui passe les trois-quarts de son temps dans le plus simple appareil). Marque une actrice à vie (Anna Prucnal, comédienne polonaise interdite de séjour dans son pays pendant 15 ans pour avoir... jouer dans le film !).

sweet movie



Les idéaux et les excréments sont liés, condamnés à se retrouver par la bouffe, le sucre puis, enfin, le chocolat, avec cette scène cultissime où Carole Laure enduit du chocolat comme une poire belle-hélène, partout sur son corps naguère puceau et laisse entrevoir ses parties intimes aux yeux les plus émoustillés et aux sexes les plus excités. Mais attention, à force de ratisser large, Sweet Movie est un film qui étouffe aussi. Pour dire vrai, le festin est aussi excitant sur le papier qu'il est écoeurant à l'écran. Ecoeurant dans ses revendications socialo-politiques martelées. Ecoeurant dans ses sous-entendus transgressifs (la pédophilie, en ligne de mire). Ecoeurant dans ses effets illustratifs, sa mise en scène branlante et son décor cheap made in John Waters première période (on a parfois l'impression d'être devant Pink Flamingos). Ecoeurant dans sa folie, sa boulimie et sa démesure. Ecoeurant comme si on mangeait à plusieurs reprises un gâteau bourratif et qu'on nous forçait violemment à en reprendre une part. A la fin, on est obligé de vomir: Sweet movie est un film qui dégueule et qui fait dégueuler.

Un machin long et polymorphe, indompté et indomptable qui se roule dans sa fange scatologique, qui est si surexcité et révolté qu'il y a forcément dans ce mets sulfureux quelque chose de salvateur voire cathartique. Il y a un plaisir - pervers - à détruire en bonne et due forme les conventions sociales, à briser les tabous, à revenir à l'état de naissance (la fameuse scène de la renaissance où, pour anecdote, Carole Laure passe un pénis sur son visage et le frotte charnellement sur ses lèvres); en bref, une certaine joie à suivre ce zigouillage en règle de bienséances cinématographiques bien avant tout un pan de cinéastes qui ont cherché à faire dans la provocation sans savoir de quoi il en retournait. On dit si souvent que la scatologie est un machin prépubère pour ados mal dégrossis: il suffit d'y mettre du sens pour comprendre ce qu'elle se sous-tend. En cela, Sweet Movie est le témoignage d'une époque où une création à la fois subversive et militante était reine, où le didactisme était rayé du vocabulaire, où les moindres tentatives avaient le don sacré d'ébranler la République, l'ordre moral et social.

sweet movie



Lors de sa sortie, le film, outrancièrement outrancier, singulièrement singulier, représentatif d'un certain cinéma des années 70 où le n'importe quoi provoquait une poésie accidentelle et décousue, fut interdit aux moins de 18 ans. Encore aujourd'hui, il impressionne. On est surpris de découvrir une farce potache et grivoise qui sous son chaos et son bordel absolument pas maîtrisé parle de déliquescence avec de vrais morceaux de bravoure et donc de cinéma dedans. La liberté qu'il s'est octroyé compte pour beaucoup dans l'attachement qu'on peut lui porter, d'autant qu'on est sûr aujourd'hui de ne plus la retrouver. En fin de compte, on regarde aujourd'hui ce Sweet Movie, avec plus de nostalgie, d'admiration et de regret que d'amusement.

SOURCE : http://www.dvdrama.com/index4entree.php





















Si Carole Laure - que j'adore ! - a toujours dénigré Sweet Movie, la succulente Anna Prucnal n'a jamais regretté d'y avoir participé. Dans la vidéo ci-dessous elle fait juste remarquer les conséquences désastreuses que le film eut pour elle et pour sa carrière dans sa Pologne natale.

 

 
ANNA PRUCNAL - Biographie (Wikipédia)

Son père, chirurgien d'origine paysanne, juif et tzigane, fut assassiné par les Nazis. Sa mère, de grande noblesse, descendante de Stanislas Leszczyński, élève donc seule ses deux filles. Après des études de piano et de chant lyrique, Anna Prucnal commence sa carrière d'actrice au Théâtre Satirique Étudiant (STS), foyer de contestation intellectuelle à Varsovie.

À vingt-deux ans elle débute au cinéma, et devient tout de suite populaire. Arrivée en France à trente ans elle entame une seconde carrière essentiellement théâtrale dont beaucoup de pièces de Bertolt Brecht. Elle travaille avec des metteurs en scène importants comme : Jorge Lavelli, Georges Wilson, Roger Planchon, Jean-Louis Barrault, Marc'O, Petrika Ionesco, Lucian Pintilie, Jacques Lassalle... Elle tourne aussi dans plusieurs films dont « Sweet Movie » de Dusan Makavejev, film qui provoquera son interdiction en Pologne pendant quinze ans.

En 1978 elle commence une nouvelle carrière en tant que chanteuse, son récital Rêve d'Ouest-Rêve d'Est la fait connaître du grand public, d'abord à Paris au Théâtre de la Ville puis en Belgique au Théâtre Jean Vilar à Louvain-la-Neuve, où elle est accompagnée aux pianos par Oswald et Nicole d'Andrea, Mylena d'Andrea dans une direction artistique du belge Marc Lerchs. Ses spectacles font le tour du monde, et elle pourra enfin retourner à Varsovie en 1989... pour célébrer le bicentenaire de la Révolution française.

En 2002, elle a écrit un livre de souvenirs Moi qui suis née à Varsovie.

 

 

 

Par Michel Debray - Publié dans : Toiles - Communauté : Arts érotiques
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