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  • Michel Debray
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Mardi 1 juillet 2 01 /07 /Juil 15:01



CHAPITRE I

 

Elle faisait du stop Porte d'Italie. J'avais arrêté ma vieille DS rouge sang à la hauteur de ses ovaires. Je lui ai fait signe de monter. Je suis d'un monde où la galanterie n'exige pas d'un homme qu'il ouvre les portières aux dames. Elle a à peine souri. Elle a ouvert la portière arrière, a jeté son sac de voyage sur la banquette de cuir jaune et s'est installée à la place du mort. Mais elle, était bien vivante dans son ensemble ciré vermillon, avec son casque de cheveux noirs, ses yeux mauves derrière de grandes lunettes rondes à peine fumées et des bottes cuissardes carminées comme ses lèvres.

Il était vingt heures et son parfum discret se fixa en cet instant dans ma mémoire olfactive.

A six heures du soir, j'avais quitté Amiens. A la gare de Perpignan, outre le centre de l'Univers dalinien, m'atten­dait en principe une caisse pleine de mes toiles destinées à la Galerie Sant-­Gauderic. J'allais en Roussillon pour une exposition de peinture, et bien que je n'eusse guère d'illusion quant au succès de mes œuvres trop nordiquement exacerbées, j’étais heureux - pour la première fois depuis longtemps - de prendre la route par cette soirée de mai. J'avais traversé Paris plutôt que de me lancer dans le manège empuanti du périphérique. Je suis un provincial indécrottable.

A peine avais-je eu le temps d'en­gloutir un hot-dog sur le boulevard Saint-Michel et je rencontrai sur ma route cette jolie tache rouge qui tendait un pouce nonchalant au passage de certains véhicules. Elle semblait pratiquer le stop sélectif et ne se fût sans doute pas aventurée en une quelconque 2 CV cahotante conduite par un bou­tonneux aux pieds sales. Il y a quelque temps que mon acné m’a oublié et je n'ai pas encore sur le visage les stig­mates de l'extrême vieillesse. Je ne suis pas un Apollon. Je ne suis pas non plus le fils extra-utérin du Dr Frankenstein. Je sais avoir la voix chaude et un cer­tain regard un peu myope qui peut faire fondre les fillettes et les vieilles dames dignes.

“ Vous allez loin ?

- Perpignan. Et vous ?

- Je ne sais pas. Je pars. C'est tout. ”

Je restais coi et me mis à rêver en m’engageant dans la fluidité orangée de l’Autoroute du Sud.

Je la regardais à la dérobée. Elle était impassible. La radio fonctionnait. FIP. Une voix suave emplit l’habitacle et nous fit part d’un carambolage monstre du côté de Roissy. Je m’en foutais. J’allais parvenir à la hauteur d’Orly sans encombre. Le moteur ronronnait doucement.

“Je peux éteindre la radio ? fit-elle. Les voix de ces petites connes exaspèrent.

- Ce sont des mères de famille, vous savez...

- Justement !

- Comme vous voulez. ”

Le bruit des voitures circulant de se fit entendre plus distincte. Sa voix aussi - belle - un peu Marlène.

“ Qu’est-ce que vous faites dans l’existence ?

- J’fais mon possible - répondis-je sur l’air de “l’Homme de ma vie ”.

- Mais encore ?

- Je peins. J’écris. Je bricole dans l’audiovisuel. En province.

- Marié ?

- Non. Divorcé. Une erreur de jeunesse... Et vous ?

- Disons que je me prénomme Sandra. Mon nom et ma fonction sociale importent peu.

- Ah ? ... Bon... Moi, je m’appelle Albert Van Eyck.

- Mais c’est un patronyme presti­gieux !

- Justement. C’était lui ou moi. Je préfère signer mes toiles Alvan.

- Alvan... Alvan ? Ça me dit quelque chose... Attendez. Vous êtes figuratif ?

- Oui. Expressionniste plutôt.

- Alors, je connais au moins trois de vos œuvres !

- Ah oui ?

- Une de mes relations possède trois toiles de vous. Je crois. Je suis certaine même. Des toiles inexposables du reste. Votre enfer, en quelque sorte... ”

Je rassemblais mes souvenirs. A qui pouvais-je avoir vendu trois de mes toiles secrètes ?

“ Comment s’appelle cette relation dont vous parlez ?

- Comment, vous ignorez le nom de vos clients ?

- Dans ce cas précis, je ne vois pas de qui il peut s'agir. ”

Soudain, je compris. J'avais confié à un démarcheur arménien une dizaine de toiles violemment érotiques. Il m'en avait vendu quatre. A quel prix ? Je l'ignorais. J'avais touché mon dû pour chacune d'elle. Mais que représentait réellement ma part dans le chiffre qu'il avait annoncé au(x) client(s), nul ne le saura jamais. Nous étions convenus de marcher fivety-fivety, mais jamais aucun contrat n'avait été signé entre lui et moi. Depuis cette affaire, je n'avais par revu mon Arménien. Il avait déposé les toiles restantes chez un ami. L'identité de mes acheteurs m'était donc inconnue. J'expliquai cela à ma passagère.

“Alors. Dites-moi le nom de mon heureux client.

- J'ai oublié... Cela n'a aucune importance...

- Je me permets d’insister. Je vous rencontre par hasard et vous semblez connaître le propriétaire de trois de mes toiles.

- C'est très bien ainsi, coupa-t-elle sèchement. Qu'avez-vous à vous préoc­cuper ainsi de vos œuvres dispersées ? Qu'est-ce donc que cette curiosité mal­saine ? Vous souciez-vous autant du destin de vos spermatozoïdes dans le ventre des femmes que vous fécondez impunément ?

- Moi, mais je...

- Je ne parle pas de vous en parti­culier, mais des hommes en général. Allez, oubliez vos petits excréments colorés disséminés dans la nature. Mais sachez simplement que j'aime ce que vous faites.

- Merci fis-je, déconcerté. ”,

Nous roulions sans excès et je regrettais que la radio fût éteinte. Elle parlait peu. Son autorité m'intimidait. Elle était belle, altière. Elle paraissait cultivée, raffinée. Son visage ne m'était pas tout à fait inconnu. Il possédait cette beauté apparemment inaltérable faite de jeunesse et de maturité. Elle regardait droit devant elle tandis que je la considérais du coin de l'œil.

“Vous fumez ? s'enquit-elle soudain.

- Seulement la pipe. ”

Elle se retourna et prit à l'arrière son sac de voyage. Je vis dans l'échan­crure de son blouson ciré l'éclat blanchâtre d'un double collier de perles. Elle portait en dessous un pull de laine blanche et vaporeuse. Elle sortit ses Pall-Mall et un long briquet d'or. Cli­quetis. Une bouffée de parfum blond diffusa contre le pare-brise. Je pris ma pipe dans l'une des poches de ma veste de velours, mon Saint-Claude dans l'autre et extrais de ma poche inté­rieure un Bic jetable violet. Deux mondes... J'entrepris de bourrer ma pipe. La direction assistée de la DS ne permet guère les fantaisies manipulatoires mais j'ai l'habitude.

“ Vous voulez que je la bourre ?

- Si vous voulez. Pas trop tassée, s'il vous plaît, mais pas trop légère non plus.

- N'ayez crainte. Rien de ce qui est masculin ne m’est étranger. Donnez.”

Peut-être avais-je embarqué un travelo ? Je lorgnais vers elle afin de décou­vrir en ce crépuscule naissant l'ombre bleutée d'une barbe clandestine. Non. Ce n'était pas possible. Pas de menton carré mais un profil harmonieux. Je sais que certaines copies sont parfois plus vraies que les originaux et, dans ce cas, j'eusse accepté volontiers de voyager avec un androgyne aux genoux si bien poncés.

Ses cuisses sans nylon luisaient sous les sunlights routiers, par intervalles. Après avoir posé sa cigarette, elle bourra ma pipe avec méthode, la prit en bouche et l'alluma en longues aspi­rations.

“ Le tirage laisse à désirer, commenta-t-elle.

- J'ai un vice. Lorsque ma pipe est complètement bouchée, j'en achète une autre.”

Elle me plaça la pipe au bec et reprit son américaine largement consumée.

“J'aime l'odeur du tabac gris ”, dit-elle.

J'allais me lancer dans une disserta­tion savante sur les mérites comparés de la pipe, du cigare et de la cigarette mais quelque chose dans son attitude, je ne sais quelle sorte de muette invita­tion au silence, m'en dissuada.

Je doublais une longue file de camions. La manette de changement de vitesse glissait doucement sous mon majeur. Je ne dépassais pas le 120, soucieux de ménager la vieille méca­nique. Mes douze chevaux faiblement sollicités galopaient au ralenti.

A la hauteur de Corbeil-Nord, elle me demanda si le chauffage de la voi­ture fonctionnait.

“Non. Il fait doux. Je suis un homme du nord. La fraîcheur du soir ne me gêne pas.

- Je n'ai pas très chaud. ”

Elle mit sa main contre ma joue.

“ Sentez, dit-elle, comme mes mains sont froides. ”

Ce contact contre ma barbe réveilla de vieux émois d'adolescence.

“ D'accord. Dans deux minutes, vous serez réchauffée. ”

Je tournais le robinet de chauffage et actionnais les tirettes de l'air condi­tionné. Ma DS ne datait pas de la der­nière grève chez Citroën. Bientôt, une douce chaleur nous envahit.

A la bretelle de Corbeil-Sud, elle ôta son blouson de cuir rouge qu'elle jeta négligemment sur la banquette arrière. Lorsqu'elle alluma une seconde ciga­rette, je pus voir en un éclair que ses petits seins ronds étaient nus sous la laine légère de son pull a col roulé. Toujours silencieuse, elle faisait rouler sous ses doigts les plus grosses perles de son collier.

“ Ça va mieux ? demandais-je dou­cement.

- Oui. Il fait bon. Je me sens bien. ”

Et elle s'étira longuement en répan­dant vers moi l'odeur sucrée de ses ais­selles parfumées. L'ampleur de ses gestes félins avait fait remonter sa jupe à mi-cuisses.

“Le ciel est clair, fit-elle alors que nous entrions dans l'obscurité fores­tière. ”

 La circulation était devenue moins dense et bientôt la barrière du péage rompit le ronronnement régulier du moteur. Le temps d'une courte attente sous l'éclairage cru et je la vis faire passer doucement la paume de sa main gauche sur la pointe de son sein érigé sous la mousse de mohair.

Je pris machinalement la carte de péage qu'un automate anonyme me tendit. Le feu passa au vert. J'enclenchai la première et la voiture bondit vers la béance de l'autoroute, avide de kilo­mètres. Ce n'est que lorsque la clarté orange s'estompa derrière nous que Sandra ôta ses lunettes qu'elle rangea dans le porte-cartes central et que, d'un mouvement léger, elle enleva son pull. Mon pouls s'accéléra et je donnais une série de petits coups d'accélérateur quelque peu anarchiques. Elle prit ses seins dans la coupe de ses mains et les soupesa lentement. Mon regard courait de la nudité de son buste que la lune éclairait, à la route où les lucioles des feux rouges dansotaient. Après une longue pause, elle se souleva légère­ment et fit glisser sa jupe le long de ses cuisses. Je me sentis gagné par la fièvre. Ses bottes ne furent pas un obs­tacle. Je jetai un regard vers son ventre et découvris qu'elle ne portait pas de slip. Elle avait gardé son collier de perles et ses bottes garance. J'étais fasciné par la tache sombre et régu­lière de sa toison de jais, galaxie obs­cure sur un firmament pâle. J'éprou­vais quelque difficulté à contrôler ma conduite. Je tentais de la toucher mais elle me repoussa.

“ Laissez-moi, dit-elle. Conduisez et ne ralentissez pas.”

Un hurlement de klaxon m'avertit que j'occupais le milieu de la chaussée. Je m'ébrouai et essayai à la fois de retrouver mon calme et mon cap cepen­dant qu'elle persistait dans son autisme gestuel. Elle effleura un de ses mamelons dont l'aréole était large et brune puis caressa lentement toute sa poitrine. Elle semblait offrir ses seins gonflés à quelque divinité nocturne tandis que peu à peu ses jambes re­muaient doucement. Son collier roulait sur l'ivoire bleuté de ses seins. Ses bras se croisaient et se décroisaient, ses mains agaçaient un tétin, glissaient vers le nombril, empoignaient une mamelle, montaient vers la gorge. Le sang battait à mes tempes. J'imaginais la pulpe douce de ses nymphes lu­brifiées glissant l'une contre l'autre en suaves mouvement mécaniques. J'avais le feu aux reins. Mon sexe se tendait et se flétrissait tour à tour. Elle mas­sait ses globes laiteux et un roucoule­ment jaillit de sa bouche, se mêlant aux symphonies multiples de la voiture.

“ Touche ma chatte ! ordonna-t-elle.”

Je tendis la main, la posai sur un pubis tendre mais dru et avançai le médius vers sa vulve. Elle dégoulinait. J'effleurai son clitoris, petit elfe explo­sif. Elle se tendit comme un arc, et un petit jet d'urine chaude mouilla mon doigt.

“ Non ! Ne me touche plus. ”

J'obéis. Sa main droite descendit en circonvolutions voluptueuses de ses seins à son ventre. Elle écarta délicate­ment les poils de son sexe et commença de se masturber avec une application méticuleuse. Je reniflais ma main et perçus la fragrance de son coquillage poivré. Je bandais sec maintenant et ne pus m'empêcher de mettre ma verge à l'air. Elle s'en aperçut et déposa sur mon gland turgescent un peu de sa liqueur gluante.

“ Ne jouis surtout pas ! ”

Elle, par contre, souffrait mille vies en faisant minauder sa chagatte. Elle enfonçait ses doigts au plus profond, revenait lutiner sa fève et bientôt un spasme magistral sembla la foudroyer. Je me caressais en essayant de mainte­nir mon excitation et de retenir mon plaisir, mais elle entreprit un nouvel assaut de ses muqueuses débondées en se mordant les lèvres.

“ Fouille-moi ! ”

A ses mots, un peu de ma tension tomba. Je m'abandonnai et plongeai la main dans ses délices aquatiques. Une forte odeur de sexe emplissait l'habi­tacle. Ses grandes lèvres gorgées de sang venaient à ma rencontre. Son sexe palpitait, anémone vivante, carni­vore, pleine de sucs. Je conduisais de la main gauche et quelquefois la voiture tanguait, donnait de la bande. Les pneus crissaient. Je ralentis, guidé par la peur de l'accident et le désir de la faire jouir au-delà de ses possibilités que je devinais immenses. Des bagnoles nous doublaient et l'éclat de leurs phares envahissait par à-coups notre cocon d'acier moite. Alors le corps de Sandra s'embrasait sous mes yeux. Sa toison devenait plus noire sur son ventre blanc et plat. Ma queue dodelinait, poisseuse, tandis que j'al­lais cueillir au plus profond de son vagin des flux de spasmes clapotants. Elle pencha son siège en arrière et posa ses pieds sur la boîte à gants. J'étais stupéfait de tant d'impudeur et de sala­cité. Ouverte, ruisselante, les cuisses maculées de son propre jus, elle béait à ma caresse circulaire et profonde. Je me penchais vers elle et conduisais en borgne. Elle fit passer sa main droite sous ses fesses et je sentis à travers la mince cloison de son vagin qu'elle avait introduit un de ses doigts dans son anus. La pénétration n'était guère pro­noncée mais nos doigts fouisseurs jouaient à cache-cache dans ses replis internes.  Enculée  par elle-même, fouillée par mes trois doigts, elle criait tandis que je battais sa crème. Mon être était douloureusement partagé. Je ne pouvais pas stopper là sous peine de me faire emboutir. Je devais la faire hurler et poursuivre néanmoins ma route incandescente. En dépit de mon écartèlement psychique à la limite du supportable je cherchais désespéré­ment sur le chemin un refuge, une aire de repos afin de pouvoir me répandre dans sa chaude liquéfaction. Après avoir explosé dans un orgasme déli­rant, elle me saisit la pine et l'agita avec véhémence, comme si sa vie en eût dépendu. Je faillis arrêter là ma course, insensible que j'étais aux éclats des phares, aux tonitruements furieux des klaxons. Je roulais à petite vitesse mais elle m'intima l'ordre d’aller plus vite. J'accélérai, toute peur évanouie, le bourdon manipulé par ma démone. Un torrent de lave monta de mes reins. Un éclair blanc me parcourut la moelle épinière. La DS vrombit. J’éjaculais dans les mains de Sandra. Après quelques secondes hagardes, je la vis s'enduire les seins de mon sperme et jouir une nouvelle fois sous ses propres caresses.

C'est alors que je freinai brusque­ment pour éviter un semi-remorque énorme dont j’avais ignoré la présence devant moi.




Le livre chez Buchet-Chastel est épuisé depuis longtemps.Mais vous pouvez recevoir le manuscrit contre 18 euros, franco de port.

m_debray@club-internet.fr

(Suite : Chapitre 2)

Note sur la Censure

 

Par Michel Debray - Publié dans : Mots - Communauté : Arts érotiques
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