Le blog de Michel Debray

 

"Le festival de la correspondance de Grignan avait pour thème cette année la peinture. « Les artistes font rêver, leur vie, leurs relations amoureuses… », disait Jean, un festivalier.

Il venait de voir « Pascin, le prince de Montparnasse », lecture brillante par Bruno Abraham-Kremer et sa femme de la correspondance d'un peintre libertin et monogame à la fois. Pascin de son surnom, Jules Pinkas de son vrai nom, enchaînait les relations sexuelles avec ses modèles, tout en restant fidèlement éperdument amoureux de l'une d'entre elles.

Jean allait voir « Suzanne, Gertrude, Kiki et Niki, ou l'école des insoumises » de Yvan-Jules Bradiloff, avec Julie Marboeuf dans le rôle de Kiki de Montparnasse, amante et modèle de plusieurs grands artistes dont le photographe Man Ray et le peintre Foujita. Julie/Kiki y racontait comment Foujita lui cherchait des morpions pour être sûr de les peindre.


Jean-François a un rapport asexué à son oeuvre, malgré leur intensité érotique

Mais aujourd'hui, quels rapports entretiennent les créateurs avec celles qu'ils font poser ? Le village de Grignan ne manquant pas de peintres, j'ai décidé de rencontrer l'un d'entre eux afin de vérifier ce qu'il en était de la vie sexuelle des peintres avec leurs modèles.

Vous l'aurez compris, Jean-François Blanc, ne peint pas les odorants paysages de lavande qui ont inspiré Nicolas de Staël, mais des corps. Nus. Qui sentent la sueur avec l'énergie de la peinture, la puissance des éclairages et la chaleur de la région.


Jean-François est un paradoxe vivant, le moins séducteur des Don Juan. Jean-François a un rapport asexué à son oeuvre, malgré la force brute animale et sexuelle qui se dégage de ses toiles (et alors totalement asexué avec moi, mais peut-être ne suis-je pas son genre). Il peint des nus de femmes et d'hommes superbes, mais prétend ne pas les toucher. (Voir la vidéo, je vous demande un peu d'indulgence, c'était ma première).


Camille interviewe Jean-François Blanc pour Rue69
par rue89

Il précise :

« Lorsque je peins des modèles, je le fais d'après photo. La séance photo peut durer entre une heure et une heure et demie. Il fait souvent très chaud avec le projecteur à fond. Il s'agit souvent d'une femme, parfois d'un homme, parfois encore d'un couple. »

 

Mais lorsque qu'un couple teste des positions devant vous, cela ne vous touche pas ? « C'est pas du tout sexuel ; ça se verrait… C'est très physique, mais ils sont très concentrés à faire des positions complexes, c'est une œuvre à trois. Je recherche la lumière » , me rétorque-t-il.

« Sur le tableau dont vous parlez je recherchai surtout les ombres d'une personne sur l'autre. Ils bougeaient, me faisaient des propositions de positions [graphiques, je sens votre esprit mal tourné, ndlr] et je les arrêtais lorsque la lumière m'intéressait »

« Il est possible que parfois certaines femmes soient très ouvertes à mon égard »

Quand à l'absence de tête, le peintre pense superflu de donner dans la délation en montrant le visage de ses muses (comme le chantait Brassens, « si je publie les noms, combien de Pénélope / Passeront illico pour de fieffées salopes »). Les formes qui l'intéressent sont les rondeurs du corps, et peu lui importe les extrémités : les pieds, les mains, la tête.


La tête ravalée au rang d'inutile extrémité tandis que les seins, ventres et fesses s'exhibent fièrement. Est-ce la une négation de l'esprit par le corps ? Du modèle lui-même ? Jean-François se défend avec amusement :

« Je ne sais pas. J'ai peint des ventres de femmes pour une exposition à New-York sur les femmes enceintes à la demande d'une directrice de collection ; les gens viennent me voir pour que je les peigne nus, je ne cherche pas à savoir leurs motivations. »

 

Il finit par admettre « qu'il est possible que parfois certaines femmes soient très ouvertes à [son] égard » mais pense que « c'est surtout par jeu ou parfois par narcissisme ».

La difficulté pour le peintre est alors la réciprocité du désir : « Tant que je n'ai pas vu le corps, je ne sais pas s'il me plaira, et je ne peux pas dire à un modèle nu devant moi d'aller se rhabiller car son corps ne me touche pas. »

Il lui est arrivé de se forcer à trouver ne serait-ce qu'une photo sur toute une séance à partir de laquelle peindre un tableau.

Mais toutes ces femmes si offertes, tous ces hommes aux muscles saillants et ronds, vous ne touchez qu'avec les yeux, insistai-je ? Je voyais venir la fin du mythe de l'artiste… Jean-François a fini par concéder que certaines des femmes modèles avaient été ses compagnes de route, et s'étaient couchées dans son lit avant de l'être sur ses toiles. A défaut d'avoir une vie sexuelle si trépidante, au moins ce sympathique peintre n'est-il pas si asexué qu'il semble le dire.


« Certaines positions demandent une réelle maîtrise de son corps »

Et de l'autre côté du miroir ? Je n'ai pas trouvé de modèle bénévole, mais Andréa, une charmante danseuse, qui fut modèle professionnelle pour écoles de peinture en attendant de vivre de son art, a accepté de témoigner de son expérience.

Encore rougie par l'effort du spectacle de danse qu'elle venait de nous offrir, Andréa nous propose un autre point de vue. (Voir la vidéo.)


Camille interviewe Andréa pour Rue69
par rue89

Pour elle, le travail avait ses avantages artistiques parfois « Certaines positions étaient intéressantes pour la danse et demandaient une réelle maitrise de son corps » et parce que, bien qu'observée, elle regardait l'expression du corps des apprentis peintres, l'utilisant ensuite pour sa propre création.

Pour autant, le tableau n'était pas rose : elle n'osait pas toujours poser ses limites, limites qui plus est mal définies dans son travail, mais une seule fois un peintre lui a fait des avances mal venues.

Par ailleurs, cette activité n'est pas toujours déclarée, et demande parfois des trajets assez longs et non rémunérés. Bref, une situation précaire et peu enviable, loin du plaisir d'une Kiki des faubourgs, loin aussi du jeu des modèles bénévoles."

 

RUE 89



Sam 16 mai 2009 Aucun commentaire