Le blog de Michel Debray

PIERRE MOLINIER ou l’auto-érotisme noir et flamboyant.

 

 

 

 


Certains artistes demeurent inclassables, singuliers et leur postérité n’est que le fruit du hasard.

Pierre Molinier est né un vendredi saint 13 avril à Agen. Élevé chez les jésuites, il quitte ses études et travaille en autodidacte le dessin, la peinture et la photographie tout en devenant un compagnon charpentier. Comme Joseph… décidément… Mais Pierre Molinier restera un mécréant jusqu’à la fin de sa vie. A 20 ans, il quitte tout et monte à Paris pour se consacrer à la peinture. Visite de musées, copies de maîtres. Au bout de trois ans, il redescend sur Bordeaux où il se fixe définitivement.

En 1936, il invente « la peinture symboliste relevant du psychisme » et s’oriente vers la fixation de ses rêves et fantasmes sur la toile.

En 1946, il parvient à la création de toutes ces superbes créatures sombres et rougeoyantes comme un feu intérieur. La féminité est son unique sujet. Il crée en fait un style personnel inimitable, sorti de rien d’autre que de lui-même et de ses démons. C’est que la personnalité de l’artiste est étonnante.

Homosexuel, bisexuel, travesti en privé, à coup sûr narcissique puis qu’il considère que ses propres jambes mériteraient d’appartenir à une femme, son art érotique n’est pas celui, rutilant et grivois de Clovis Trouille, ni celui sec et froid d’Hans Bellmer. La peinture de Molinier est celle d’un artisan pointilleux, d’un compagnon du tour de hanches…

 

 

Très exigeant avec lui-même, il n’a de cesse de retoucher ses toiles indéfiniment. Les céder lui est un crève-cœur et il n’est pas ra      re qu’il rachète une de ses toiles pour l’améliorer ou parce qu’il juge que son propriétaire n’est pas digne de posséder un Molinier. A un écrivain qui voulait lui acheter une toile il demande d’abord à lire le dernier opus. L’ouvrage le consterne : « Je ne puis laisser une de mes œuvres en si mauvaises mains que les vôtres. En vérité vous êtes un con. Vous ne méritez pas mes toiles ! . Formidable liberté, sans souci de l’argent, de la postérité, de la marchandisation de l’art !

 



Molinier ne découvre le Surréalisme que tardivement lorsqu’il rencontre André Breton en 1954. En fait, il y a du reclus chez cet homme et son capharnaüm bordelais, orné de tentures, d’objets sexuels qui sont comme ceux d’une liturgie païenne. Breton l’accueille à l’Étoile scellée, la galerie qu’il avait fondée à Paris. Ce sera la seule et unique exposition publique de Molinier de son vivant. Classiquement, les marchands le « découvriront » après sa mort. Comme les charognards que la plupart d’entre eux sont. Prenez un artiste un peu maudit, faites-le entrer dans le cénacle des renifleurs de poudre et d’un milieu interlope où ses pulsions et ses passions se briseront comme des vagues sur le dur récif, entretenez à la fois sa déchéance, son alcoolisme et sa défonce. Faites le travailler à coups de bank-notes, quand même. Peu importe ce qu’il produit, c’est sa seule signature qui compte. Vous avez Utrillo, ou Modigliani, ou Baskia. On fera post-mortem des livres et des films hagiographiques alors qu’évidemment l’homme peut être absolument imbuvable, parce que, précisément buvant trop !

Dans sa retraite aquitaine, Molinier est à l’abri de ces tentations et puis, il porte en lui, dans ses gènes et son sang, la drogue sacrée du sexe et de ses excès.

A partir de 1965, Molinier délaisse la peinture pour la photographie et le collage.

   

Les modèles de Molinier n’étaient pas des prostituées mais des jeunes femmes qui acceptaient de se dénuder devant un homme, souvent maquillé et vêtu de guêpières et autres lingeries, qui aurait voulu être une femme afin de « courir les lesbiennes ». Celles qui ont sauté le pas, franchi son seuil, témoignent de l’expérience éblouie d’une patiente, lente et formidable érotisation qui rendait leurs visites addictives et sacrées.


  

Comment un homme qui ne possède pas, chevillée en lui, le fait féminin brut, depuis les suaves caresses jusqu’aux enculades sauvages où se mêlent les organes en copulations frénétiques et animales ? Lui sait ce qu’est d’être caressé, léché, mordu au haut des cuisses, dans cette bande de féminité totale entre le haut des bas de soie tendus par le petit harnachement du porte-jarretelles et le pli crural ou fessier.

 


Emmanuelle Arsan, née en 1940, la véritable Emmanuelle qui écrivit le livre éponyme et clandestin dans les années 60, fut son plus célèbre modèle. Emmanuelle n’est pas Sylvia Christel qui endossa le rôle cinématographique. Emmanuelle Arsan, épouse d’un diplomate, vivait en Thaïlande mais une correspondance suivie s’établit entre elle le peintre et chacun éprouvait pour l’autre une admiration réciproque. Sous son vrai nom de Marayat Andriane, Emmanuelle Arsan joue le rôle de Maily, à côté de Steve McQueen, dans La Canonnière du Yan Tse (1966). L’œuvre littéraire d’Emmanuelle Arsan est une recherche réelle sur la problématique de l’amour libertin et n’a que peu à voir avec ce que les marchands ont pu en faire par la suite. Comme c’est souvent le cas, le message libertaire et libertin des ouvrages premiers a été noyé sous un flot d’érotisme propret, inodore, incolore et sans saveur.

 

 Graveur, poète, créateur d’un film court, où il se met en scène Molinier est un homme qui aurait voulu être une femme. Ses œuvres onanistes, ses collages, où il se métamorphose en être androgyne témoigne d’une volonté de posséder à la fois les attributs masculins et les appas féminins. Le spectacle de lesbiennes faisant l’amour est pour lui le comble de la beauté. Véritable adorateur du corps de la femme, il voudrait que sur le même plan apparaissent les seins et les fesses…  Quelques documentaires furent tournés sur lui et son indéniable érotomanie.

 



Comme Dali, Trouille, Bellmer, Molinier est fasciné par les mannequins de cire qu’il travaille, habille, coiffe, bref pare pour ensuite les photographier, les retoucher dans un constant souci de perfection.

 

On a dit beaucoup de choses scabreuses sur Molinier. Il est probable que lui-même entretint soigneusement sa propre légende en l’enjolivant de détails sordides et de perversions plus ou moins assumées, plus ou moins réelles. Quelqu’un qui vit dans l’Éros avec cette constante ne peut être aux yeux du monde que scabreux, inquiétant, révulsant même. Cet ostracisme présente l’avantage de vous éloigner des imbéciles et de vous faire rencontrer de belles femmes libres et libertines. Si elles ne le sont pas au début, elles le deviendront sous les caresses fureteuses du pinceau du peintre.

 

 Il existe une relation singulière, inaliénable, sacrée. C’est celle du peintre et de son modèle. Il n’est point nécessaire qu’ils aient physiquement fait l’amour. A l’instant où le modèle se déshabille pour la première fois, où la femme se plie aux injonctions du photographe ou du plasticien, elle ne s’appartient plus. Elle n’appartient pas non plus à l’artiste. Elle appartient à l’œuvre en devenir. Cette expérience est indicible. Une virginité déchirée sous la lumière crue, ouatée ou domestique de l’atelier. Chez Molinier cet instant de dépucelage sacré, où le crayon pose la première trace de son ouvrage aussi sacrilège et pourtant fascinant des premiers pas dans la neige rose d’un matin de ciel coupant, est longuement et minutieusement préparé, dans un rituel sacrificiel…

 

 

Alors qu’il avait coutume de dire qu’il se suiciderait le jour où il serait psychologiquement diminué et où il ne pourrait plus faire l’amour, Pierre Molinier passa à l’acte le 3 mars 1976 et après avoir nourri ses chats, il se tira une balle dans la tête.

 

 

 

 

 

Dim 13 avr 2008 Aucun commentaire